top of page

NOTES DU 11 SEPTEMBRE 2020

IMG_3516_edited.jpg
Les couleurs de SXM

Deuxième jour, il fait beau et chaud, très chaud. 

Ce matin je rencontre Donovane, un jeune saint-martinois, photographe et créateur de Wall Art une association d'artistes à Saint-martin. Nous avons rendez-vous au Wine Bar, au bord de la "marina" de Marigot. Je me permets de mettre des guillemets, vous comprendrez plus tard pourquoi (rencontre avec Métimer).  

Qui dit rencontre dit aussi bus. Enfin, plutôt, marche à pied, le pouce levé et le bras prêt à faire un signe rapide au premier van gris qui apparaîtrait au loin. Et en bonus, une séance de hammam gratuite pendant les 20 minutes de trajets théorique. Ça a l’air d’être un enfer, mais après quelque jours, c’est une mine d'or de petites tranches de vie à capturer. Lors de chaque trajet matinal, les discutions des passagers passionnent mes oreilles curieuses. Sur un fond sonore de créole mélanger à l'anglais et au français, j'adore regarder défiler le paysage de l'île : les montagnes, les toits de maisons - blancs, bleus, rouges, vert, jaunes parfois- , les débris oubliés par Irma (ouragan qui a dévasté l'île en 2017), les enfants qui vont à l'école et les échoppes qui ouvrent, déjà essoufflées par la chaleur... Le réveil de Saint-Martin, c'est mon petit plaisir du matin, le sourire (déjà humide de sueur) qui glisse jusqu'aux oreilles. Mon bras se lève, le crissement des pneus m'indique que le chauffeur m'a bien repéré, la porte coulissante s'ouvre d'un geste sec, je monte, la journée commence.

20DFCF8F-22CE-4B5E-AF09-08A6AF4E00B5-754
E8EEA4AC-7C4F-461A-A331-D14FD968E8CC-A5B

"Stop please !" - une fois arrivée à Marigot, j'indique au chauffeur que je souhaite m'arrêter, je lui paie les 2 dollars et je traverse à pieds la rue principale. Objectif : rejoindre le front de mer. Les boutiques ouvrent, les gens se souhaitent la bonne journée et je sens le vent marin qui s'engouffre dans l'allée principale. Je suis fraichement dans la bonne direction.

Une fois arrivée au Wine Bar, je décide d'attendre Donovane, assise sous le seul ventilateur du bar. Il a fallut qu'une micro seconde pour commencer à loucher devant le frigo rempli de boissons fraîches. Je patiente, en faisant les yeux doux aux bouteilles, dégoulinante de fraicheur.  

Le vrombissement d'une moto s'approche petit à petit. C'est mon rendez-vous qui arrive, au même moment que trois autres hommes. Une fois tous descendus de leur bécane ou de leur voiture, ils se saluent, contents de se retrouver. Sur l'île tout le monde se (re)connait et cela fait plaisir à voir. 

"Ah c'est toi que je dois voir non?!"

Debout devant le comptoir, encore entouré des amis qu'il a croisés sur le (seul) chemin, Donovane me fait signe et me demande ce que je veux boire. Très important d'avoir une boisson fraîche avant même de s'asseoir. Une fois la commande prête, il s'approche, me "sers le coude" et me tend ma boisson. La fraicheur de la cannette me revigore. Tout est parfait, nous pouvons nous installer, face à face.

En décembre dernier, Donovane a créé "Wall Art", une association qui vise à redonner de la vie à l'île de Saint-Martin, dont la plupart des couleurs pastel ont été gommées par Irma en 2017. L'île et les esprits se sont un peu grisés suite à l'ouragan et pour Donovan, il était essentiel de redonner des couleurs aux paysages et aux vies quotidiennes. Depuis quelques mois, donc, lorsque l'on se promène sur les chemins de Saint-Martin, au frais dans sa voiture, réchauffé.e dans un bus ou à pieds pour les plus téméraires, on peut découvrir de magnifiques fresques sur les maisons, sur quelques bâtiments ou sur les murs solitaires qui ont résisté à l'ouragan. 

IMG_3892_edited.jpg
Un message au bout du pinceau

Sportifs, paysages, faune, flore... Les peintures sont toutes plus intéressantes les unes que les autres. Plus nous discutons, plus je me rends compte que l'ambition et les défis de Wall Art sont grands. L'association est un tremplin pour les jeunes de l'île. Donovane espère les responsabiliser face à l'environnement, le tri des déchets, le respect de la biodiversité, la sécurité routière, le travail, les études, etc. Récemment, par exemple, ils ont récupéré des matériaux pour fabriquer et peindre un Mignon géant (oui oui, ceux du film, les petites boules jaunes à lunettes). Ils l'ont mis sur une route qui mène à l'école de Sandy Ground, pour indiquer aux chauffards qu'ils entrent dans une zone d'école, piétonne. Dans le même esprit, ils ont aussi peint un passage piéton en 3D. Entre deux gorgées, il me résume en une phrase le message qui se cache derrière les peintures réalisées sur les locaux à poubelles :

" C'est ton île, prends en soin" 

De la sensibilisation, oui, mais l'objectif va encore plus loin. En juillet dernier, l'association  a organisé les Quartiers d'été, un événement destiné aux jeunes qui ne partent pas en vacances. Le but était de colorer tout le quartier sportif de Concordia, de rassembler, de peindre, d'imaginer, de découvrir, de créer. Dans son flux de mots, d'anecdotes, de nuances et de couleurs, Donovane me propose de rejoindre une peintre, en pleine création à Concordia. Mauvais timing sûrement, elle n'est pas disponible, nous la rejoindrons plus tard. J'ai hâte. 

Mauvaise nouvelle, bonne nouvelle, il me propose de rencontrer à la place, Anne Karine Fleming.  C'est le grand-père de cette dernière a organisé l'inauguration de l'obélisque de la frontière (The Border Monument) en 1948 à l'occasion des 300 ans du traité de Concordia. Vous l'aurez deviné, c'est une reproduction miniature (pas moins belle ni importante) de l'obélisque de Paris. Elle est située à la frontière (jusqu'à cette année) "imaginaire" entre la partie française et hollandaise de l'île. Je lui répond que je serais ravie de rencontrer cette grande dame. 

Un appel éclair, puis hop, il m'indique qu'Anne Karine Fleming est prête à nous recevoir. Après avoir englouti la fin de mon verre - dont il restait essentiellement des glaçons fondus - nous payons l'addition et nous grimpons sur sa moto. 

Moto et flamboyants

Quelques brefs rappels des bases de la conduite à moto et nous étions partis, direction la maison Fleming à Bellevue. J'adore rouler à moto, mais alors, rouler à moto quand il fait chaud, c'est le luxe. Le sourire jusqu'aux oreilles, les joues qui ondulent avec le vent comme une nappe qu'on secouerait depuis sa fenêtre, j'ai l'impression d'avoir une ribambelle de ventilos, en pleine face et à pleine puissance. Génial. 

Nous arrivons dans une allée magnifique. Le domaine est d'un vert pétillant, organisé le long d'une allée de petits palmiers. J'avais oublié la beauté des Flamboyant. Ce sont des arbres typiques de la région, avec un tronc lisse, de grandes feuilles vertes et de superbes fleurs rouges réunies en grappes qui capturent les yeux de n'importe quel voyant. Cela ressemble à un parasol, de luxe et naturel. Un sourire en coin et les yeux brillants à l'idée de partager son anecdote, Donovane explique que le meilleur moment pour observer les flamboyants, c'est lorsqu'il a plu. À l'heure du coucher du soleil, les couleurs rouges et rosées se reflètent sur les feuilles encore humides et se confondent avec le rouge des fleurs. 

Anne Karine nous accueille, avec le sourire, toujours. Après de brèves présentations, nous nous asseyons tous les trois autour d'une table. Elle commence à raconter, comme si elle ouvrait un bouquin, mais tout est dans sa tête et dans ses yeux. Après quelques minutes, je dépose mon stylo, ferme mon carnet et allume mon dictaphone et je m'offre le luxe de l'écouter. Pleinement. 

Elle a des yeux curieux et les traits du visage apaisants. Son sourire léger et sa voix douce racontent passionnément les souvenirs de l'île. Nous avons discuté une heure et demie. Enfin, je l'ai écouté plutôt. Elle est une mine d'or d'informations sur l'histoire de Saint-Martin, la vie sur l'île, l'identité des habitants, de ses montagnes et de ses côtes. Donovane et Anne Karine m'ont raconté l'épisode d'Irma, avec des mots qui m'ont tenue en haleine du début à la fin. Un ouragan, bien sûr cela dévaste des quartiers, des maisons, des vies, des cultures, de la faune et de la flore. Mais cela réunit aussi, ceux qui veulent vivre ensemble et s'aider. Pour Donovan par exemple, Irma c'était l'eau qui monte un peu plus chaque minute jusqu'au premier étage, les oreilles qui sifflent et qui gonflent sous la pression de l'air - mais aussi les barbecues avec tous les voisins du quartier, les Johnny Cakes (des galettes frites à la farine de maïs) préparés dans un esprit de partage et d'entraide, le tout au milieu des restes de la colère d'Irma. Leur récit est un mélange de peurs, aventures, galères mais aussi d'amour pour leur île et beaucoup d'espoir. Chaque année est différente, chaque année il faut s'adapter, chaque année il faut avancer tous ensemble.

 

Ils racontent aussi le défi de la langue. Lorsque l'on nait ici, généralement on apprend d'abord l'anglais, puis le créole et ensuite le français ou le néerlandais (selon la partie de l'île). Dans la vie quotidienne côté français, tout le monde parle parfaitement l'anglais, mais l'éducation, les papiers administratifs et autres paperasses, eux, se font uniquement en français. Difficile pour une île, terre d'immigration, qui réunit plus de 80 nationalités différentes et dont la langue principale est l'anglais. Selon Anne Karine, cela pose un problème pour l'accès à l'emploi, l'accès à des postes dans la fonction publique ou de représentation de l'île auprès du gouvernement central. 

Des idées plein les yeux

Plus je rencontre de locaux, plus je me rends compte que l'île déborde d'histoires à explorer et raconter. Gros challenge pour une personne comme moi, qui a du mal à se concentrer sur un sujet à la fois. La famille Fleming est implantée ici depuis des générations et Anne Karine regorge d'anecdotes à dévorer.

Elle m'a raconté que, depuis la rentrée des classes, tous les matins, elle voit des enfants traverser la montagne et la végétation à pied pour rejoindre leur établissement.

"Comme dans les documentaires Arte avec les enfants qui doivent marcher des heures au milieu de la brousse pour rejoindre leur école"

 

La raison vous la connaissez : la fermeture de la frontière entre la partie française et hollandaise de l'île. Ce nouveau poste de douane, inexistant depuis plus de 300 ans, a transformé des détails de vie en obstacles pour l'économie, la vie de famille ou encore l'éducation. Si un enfant a sa mère côté français et son père côté hollandais (suite à un divorce par exemple), il sait qu'à chaque fois qu'il dormira chez l'un de ses parents, il risque de devoir passer par la montagne pour se rendre à l'école le matin. De la même manière, un commerçant qui avait l'habitude de se fournir d'un côté et de vendre de l'autre, devra désormais se limiter à une seule partie de l'île.  Anne Karine, elle, se rendait régulièrement de "côté hollandais" pour prendre soin de certain membres de sa famille, de ses proches. Aujourd'hui, c'est impossible. Bref, vous l'aurez compris, cette histoire de frontières, qu'elle soit entre Anguilla et Saint-Martin ou entre Saint-Martin et Sint-Maarten, est pa-ssion-nante et rythmée de plusieurs moments historiques. Comme ce qu'il se passe en ce moment. Pour la première fois, je suis la forme vivante de l'expression "être au bon endroit au BON moment". 

Après avoir écouté et relaté plusieurs volets de la vie saint-martinoise, Donovane me redépose dans le centre de Marigot et m'invite à se retrouver plus tard, pour rencontrer les artistes de Wall Art, en pleine création. Vers 15 h je rejoindrai l'équipe de Metimer, une association de professionnels du nautisme, qui, eux aussi, font un focus sur la jeunesse saint-martinoise et la biodiversité.

Tous à l’eau 

 

Après avoir déjeuné dans le centre de Marigot, je commence à me mettre en route pour mon rendez-vous de 15 h. 

Métimer est une association qui réunit les professionnels du nautisme. L’objectif principal est de développer le secteur du nautisme à Saint-Martin, un domaine qui a été oublié pendant de nombreuses années. L’activité oui, mais pas seulement, car les jeunes sont aussi la principale cible de l’association. 

 

Un bonheur d’entrer dans les locaux climatisés de Métimer. Nichés au rez-de chaussée de la zone commerciale de Marigot, Alexina et Bulent m’accueillent avec un grand sourire, comme tout le monde ici. Nous nous installons autour d’une table, entouré.e.s de murs. La salle est décorée de cartes de l’île et de ses alentours, cartes de la mer et de photographies des précédents événements et activités organisé.e.s par l’association.

 

Bulent est le directeur de l’association et Alexina sa seule employée. Tous les autres membres sont bénévoles. Comme Donovan me l’expliquait plus tôt dans la journée, une partie de la jeunesse de l’île n’est pas du tout initiée au monde marin. Paradoxalement, même si nous nous trouvons sur une île, des saint-martinois n’ont jamais pêché, ne sont jamais allés en mer, ne savent pas naviguer, certains même ne savent pas nager. Attention à ne pas faire de généralités pour autant. Les habitants de Grand-Case, zone de pêche située directement en face de l’île d’Anguilla (liaisons en bateaux régulières en temps normal) sont eux très habitués à la mer, ses humeurs, sa faune et sa flore. Le ponton de Grand-Case illustre joliment ce lien. Toute la journée et jusqu’au début de soirée, des saint-martinois y viennent se reposer, pêcher et plonger. Ce “décalage” se trouve plutôt dans les terres, comme dans le quartier de Concordia. Bulent suppose que cette distance avec l’eau s’expliquerait par le temps de la colonisation. Les maîtres persuadaient les esclaves que la mer étaient dangereuse et impitoyable avec ceux qui n’y sont pas tombés dedans étant petits. Cela leur assurait partiellement, que leurs esclaves ne fuiraient pas en bateau ou à la nage.

 

B65E9433-451B-4D59-8496-B18CFAF917FF-D03
DC5F36B9-7908-4FA7-B3F5-CA6E76E0BD06-96A

Revenons sur mon sujet de départ : les relations entre Anguilla et Saint-Martin. Ça avance, doucement mais sûrement : la frontière entre Anguilla, elle aussi, est fermée à cause du COVID-19 (moment clé de l'histoire de l'île, puisqu'elle non plus n'avait jamais été fermée auparavant). Toutes mes rencontres me dessinent une sorte de carte au trésor vers les familles reparties sur les deux îles (Anguilla et Saint-Martin). Je vais d'ailleurs bientôt rencontrer deux personnes qui vont beaucoup m'aider à illustrer les liens qui unissent les deux îles.  

bottom of page