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Les îles de la Caraïbes possèdent chacune un des deux statuts de « pays associés » à l’Union européenne : soit celui de Pays et Territoire d’Outre-mer (PTOM) soit celui de Région Ultrapériphérique (RUP). Cette différence repose sur le droit européen et remonte au traité de Rome de 1957.

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Les statuts des territoires ultramarins au sein de l’Union européenne

DEUX STATUTS DISTINCTS

Le statut de Pays et Territoires d’Outre-Mer (PTOM)

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Le site internet touteleurope.eu expose que, pour avoir le statut de PTOM, le pays doit relever constitutionnellement d’un État membre de l’Union européenne, à savoir, la France, les Pays- Bas, le Royaume-Uni ou le Danemark.

 

Il est important de noter que les vingt-cinq PTOM que l’on compte aujourd’hui ne font pas partie du territoire européen. Selon touteleurope.eu , même si les PTOM sont rattachés à des ressortissants qui disposent de la citoyenneté européenne, eux ne font pas partie du territoire de l’UE et ne sont pas soumis au droit européen. Autrement dit, les PTOM sont « "associés" à l’Union européenne au nom des relations particulières qu’ils entretiennent avec un État membre ».

D’un point de vue juridique, la réglementation qui régit ce statut se trouve dans les articles 198 à 204 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). De son côté, la relation qu’entretiennent les PTOM avec l’État membre auquel ils sont rattachés, et donc avec l’UE, repose sur la Décision d’Association Outre-mer (DAO). Elle a été adoptée le 25 novembre 2013 et reste en application jusqu’au 31 décembre 2020.

Les trois objectifs principaux de cette DAO sont la promotion de la coopération, la lutte contre la vulnérabilité et le développement de la compétitivité.

Ainsi, ce statut de « pays associé » permet à ces territoires de recevoir une aide pour leur développement économique et social. Ces financements sont versés au titre de Fonds européen de développement (FED). Comme les PTOM, les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) peuvent profiter de cette « politique de coopération et de développement ».

 

Pour comprendre l’objectif de ce travail et l’importance de la réalisation de ce reportage, il est essentiel de saisir les subtilités des statuts des îles de Saint-Martin et d’Anguilla. Sint-Marteen, la partie néerlandaise de l’île de Saint-Martin et l’île d’Anguilla possèdent toutes les deux le même statut de Pays et Territoires d’Outre-mer (PTOM). La partie française de l’île de Saint-Martin possède celui de Région Ultrapériphérique (RUP), radicalement différent de celui de PTOM.

Le statut de Région Ultrapériphérique (RUP)

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Les régions ultrapériphériques sont des territoires ou des régions insulaires qui « contrairement aux PTOM font partie intégrante du territoire de l’Union et à ce titre sont soumises au droit européen » (Décision 2013/755/UE du Conseil de l’Union européenne).

 

En plus de la partie française de Saint-Martin, on compte la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion comme régions ultrapériphériques françaises. L’intégration au marché européen des RUP rend leur statut juridique quasiment identique à celui des territoires métropolitains, mais avec des « avantages » en plus : politique commune, accès aux marchés nationaux et européens, accès aux fonds structurels, etc. Ces aides et adaptations visent à les aider « à faire face aux contraintes liées à leur situation qui est aggravée par leur éloignement, l’insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficile, leur dépendance économique vis-à-vis d’un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développement » (art. 299, al. 2 du traité instituant la Communauté européenne – TCE – tel que révisé par le traité d’Amsterdam).

 

En comparaison, les PTOM sont bien plus indépendants et autonomes juridiquement. Mais contrairement aux RUP, ils ne bénéficient pas des avantages associés au statut dont profitent les États membres de l’UE. Pour finir, même si les PTOM ne sont pas contraints de respecter le droit communautaire européen, ils peuvent être limités dans leur action par d’autres institutions comme l’Organisation Mondiale de la Santé ou tout simplement par les réalités du marché. 

Ainsi, les Antilles néerlandaises, comme Anguilla sont associées à l’UE et possèdent le statut de PTOM. Le côté français de Saint-Martin, lui, est membre de l’UE, de l’espace Schengen et détient le statut de RUP.

Les financements européens accordés aux territoires d’outre-mer

Les pays d'Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) et les PTOM reçoivent chacun des financements au titre du Fonds européen de développement (FED). Les RUP, eux, profitent de subventions de la part des fonds structurels des pays membres (comme la France) qui représentent l’aide principale dont ces régions peuvent bénéficier.

 

Pour comprendre la manière dont fonctionnent les financements européens destinés aux ACP, PTOM et RUP, il est important de les décomposer en trois groupes.

Il y a d’un côté les programmes de coopération territoriale (FEDER), de l’autre les programmes de coopération régionale et bilatérale (FED-ACP) et enfin des programmes territoriaux et régionaux (FED-PTOM).

 

D’après la décision 2001/822/CE du Conseil du 27 novembre 2001 relative à l'association des PTOM à la Communauté européenne, le régime d’association a pour objectif la réduction, la prévention, l'éradication de la pauvreté, le développement durable et l'intégration progressive des PTOM dans l'économie régionale et mondiale.

L’aide accordée pour cet objectif est versée via le Fonds européen de développement (FED).

 

Dans le cadre du 11ème Fonds pour le développement, l’île d’Anguilla (britannique) a reçu 14 millions d’euros pour la période 2014-2020.

L’île de Saint-Martin possède, quant à elle, la double nationalité. Cela lui permet d’être éligible à trois programmes de financements distincts.

  • Le premier est le programme régional « FEDER-FSE- Guadeloupe et Saint-Martin État ». Sa période de programmation recouvre les années entre 2014 et 2020 et son budget total est de 273 202 651 euros, dont 203 800 000 fournis par l’UE.

  • Le deuxième programme est tout nouveau. Il s’agit du « Programme transfrontalier Saint-Martin 2014-2020 ». D’après le site europe-en-france.gouv.fr l’île « est amenée pour la première fois à préparer sa propre programmation de coopération transfrontalière pour le FEDER pour la période 2014-2020 »15. Ce programme de développement représente un apport de 12 000 000 euros dont 10 000 000 de l’UE.

  • Enfin, Saint-Martin est intégrée au programme interrégional « Caraïbes 2014-2020 ». Ce dernier représente 85 723 873 euros, dont 64 292 905 en provenance de l’UE.

 

Il est évident que le budget qu’Anguilla perçoit grâce à son statut de PTOM via le FED est beaucoup moins conséquent que les financements cumulés par Saint-Martin grâce à son statut de RUP via le FEDER. Mais d’un autre point de vue, les PTOM possèdent davantage de marge de manœuvre par rapport aux RUP. Par exemple la Guyane (française, RUP) ne peut pas négocier d’accord de pêche avec le Brésil., « alors que pour les PTOM c’est une affaire qui ressort des autorités locales et de l’État » (Ziller, 2002, p. 127)7.

Le statut de PTOM, vital pour Anguilla

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Grâce à son statut, Anguilla profite d’un régime d’association et de collaboration avec l’UE avantageux pour son économie. Mais ce statut lui est-il vital ?

 

Premièrement, ce régime commercial est bénéfique pour Anguilla : il lui permet de percevoir des financements du Fonds européen pour le développement (FED). Selon le Livre blanc du gouvernement anguilan de 2017, le FED représenterait plus précisément 36 % des investissements d’Anguilla en termes de développement. Une part non négligeable du budget total de l’île.

 

En second lieu, ce statut permet à Anguilla de bénéficier d’un régime commercial défini par les articles 183 et 184 du traité instituant la Communauté européenne (CE) signé en 1957. Cela permet à l’île d’avoir un libre accès au marché communautaire européen. Les produits exportés par Anguilla vers l’UE ne sont ni limités quantitativement, ni soumis aux droits d’importation. Cet avantage est unilatéral, puisque le régime préférentiel ne s’applique pas aux produits européens exportés vers Anguilla. Ainsi, les produits d’origine européens peuvent être soumis à des droits ou taxes d’importation, fixés par les PTOM. Ce système de taxe vise à protéger le développement et l’économie de la région mais connait plusieurs limites. Par exemple, un PTOM ne peut pas fixer de taxes ou droits d’importations de façon discriminante. Impossible, donc, de taxer un pays de la CE plus qu’un autre sans raison légitime.

 

Ce reportage, vise à définir en quoi l’île d’Anguilla est dépendante économiquement de ce système d’association et de coopération européen. Il s’agira également de démontrer que le Brexit pourrait gravement affaiblir l’île. Dans son article « Brexit : Un vote sans conséquences significatives pour les Ultramarins de Londres », le média Outremers 360° avait estimé que le divorce entre l’Union européenne et le Royaume-Uni n’aurait qu’un impact très faible sur les territoires d’outre-mer britannique. Malheureusement ce constat date de 2016.

Un entretien exploratoire réalisé avec un ancien responsable d'une Délégation de l’Union européenne permet d’y apporter une réponse partielle mais plus actuelle. De même, plusieurs communiqués du West India Committee (« Anguilla & Brexit : Britain’s forgotten EU border », 2017 et « Anguilla & Brexit – Solutions », 2018) apportent une nouvelle vision de la situation. Au nom du gouvernement anguilan, le comité explique qu’Anguilla ne dispose que de très peu de ressources naturelles, ce qui limite son développement. L’île ne possède pas non plus de port en eaux profondes, ni d’aéroport international. Une escale en avion à Saint-Martin est nécessaire pour rejoindre Anguilla. Ainsi, son économie est « vulnérable et manque cruellement de diversité ».

À cela s’ajoute le risque élevé de catastrophes naturelles difficilement contrôlable auquel doit faire face l’île. Rappelons-nous l’ouragan Irma en 2017, dont l’île ne s’est pas encore entièrement remise. D’après le comité, ce risque représenterait un frein pour les investissements étrangers.

Aux vues de cette situation, le gouvernement considère l’île comme dépendante de ses voisines européennes (Saint-Martin) et des financements de l’UE.

L’aide du Royaume-Uni ne pourra pas remplacer celle de l’UE

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Suite au Brexit, le Royaume-Uni quittera l’Union européenne.

 

Logiquement, Anguilla perdra son statut de PTOM et les financements qui lui sont rattachés. Le problème soulevé par le comité est le manque d’un équivalent britannique du Fonds européen de développement.

L’ex-membre de la Délégation de l’Union s’inquiète que « le gouvernement britannique ou le Commonwealth puisse assumer tout le manque à gagner que le Brexit va entrainer pour les PTOM. Ils n’ont absolument aucun fond comparé à ce que l’Union européenne possède. Pas d’argent, ni de gros programmes de développement. Ils sont minimes. Donc le Brexit va entrainer un énorme déficit pour les pays comme Anguilla » (d’après un entretien exploratoire réalisé le 23 mars 2020).

Le communiqué du gouvernement anguilan permet d’illustrer ce déséquilibre entre l’aide fournie par Londres et l’UE aux territoires ultramarins. D’un point de vue légal et factuel, il fait une comparaison entre les initiatives du gouvernement britannique et celles de l’UE. Ainsi, sur papier, les aspirations et la méthodologie mises en place par l’UE en faveur des PTOM, pourrait sembler similaire à celles présentées par le gouvernement britannique en 1999 et 2012 dans ses Livres blancs sur les territoires d’outre-mer. Mais dans la pratique, le comité juge ces deux initiatives comme radicalement différentes.

 

Premièrement, les conditions britanniques pour bénéficier d’une aide financière sont plus strictes que celles européennes. L'UE fournit un soutien technique et financier nécessaire à l’île pour établir un programme de développement, et ce, sans exiger que le territoire soit dans un état de pauvreté. Avant l’annonce du Brexit, l’accès restreint aux aides financières britanniques pouvait se justifier. Effectivement, la contribution annuelle britannique au FED (destiné aux programmes de développement), était supérieure à sa part dans le budget (14,9%) et représentait 670 millions d’euros. Mais aujourd’hui, avec le Brexit, le Royaume-Uni ne fait plus partie des pays contributeurs au FED et les PTOM britanniques, dont Anguilla, ont perdu ce statut de PTOM qui leur permettait d’en bénéficier. 

Deuxièmement, dans son rapport de 2018, le gouvernement anguilan précise qu’aucune alternative n’a été proposée par le Royaume-Uni.

Par ailleurs, Londres a informé les pays bénéficiaires des financements du Département du Développement international britannique (DFID) que les apports seront revus à la hausse étant donné la perte financière que représente pour eux le Brexit. Malheureusement Anguilla ne fait pas partie, à l’heure actuelle, de ces pays. L'île n’est donc pas concernée par cette compensation financière. De plus, le temps de l’évaluation de la situation par le DFID, de notification, et d’une potentielle intégration d’Anguilla aux programmes d’aides publiques au développement « est susceptible de représenter plusieurs années avant que des mesures ne soient prises » (« Anguilla & Brexit – Solutions », West India Committee). 

Il est important de rappeler que sur les vingt-cinq PTOM, douze sont britanniques (comme Anguilla). Ce sont donc douze territoires qui se retrouveraient aujourd’hui dans une sorte de gouffre financier. D’après l’ancien membre de la Délégation de l’Union européenne à la Barbade, « le problème […] c’est que nous [l’UE] nous sommes engagés dans aucun financement depuis 2016. Si nous avions su, nous aurions pu continuer à financer et envoyer de l’argent aux administrations des PTOM, au moins pendant la procédure de mise en place du Brexit » (d’après l’entretien exploratoire réalisé le 23 mars 2020).

Le risque de déficit économique pour le territoire serait donc important et quasiment inévitable.

Une aide européenne irremplaçable ?

Anguilla pourrait perdre le financement européen qui lui est vital et les solutions qui pourraient s’offrir à elle sont limitées par la Constitution britannique.

La marge de manoeuvre de l’île pour obtenir des prêts d’autres pays ou d’autres institutions est entravée par le fait que le Royaume-Uni ne permet pas à Anguilla d’accéder à des financements externes sans son accord préalable. Une approbation qui n’a pas été donnée depuis plusieurs années. L’ancien haut fonctionnaire de l’UE que j'ai pu rencontrer, rejoint ce constat en précisant que « les Britanniques ont fait en sorte que même si les territoires d’outre-mer possèdent leurs propres institutions, ils ne puissent pas s’engager dans de gros emprunts d’argent à la banque mondiale ou sur les marchés financiers. Donc en fait ils ne peuvent pas signer d’accords financiers allant au-delà de leur capacité et de leur solvabilité ». D’après lui, ces territoires « ne peuvent pas emprunter un montant représentant plus de 10 % du revenu de l’île » environ.

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